Le Grimoire au rubis, cycle 2, 3 La Sarabande des spectres (2008) by Bottet Béatrice

Auteur:Bottet, Béatrice [Bottet, Béatrice]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Casterman
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

L’atelier typographique Suret croulait décidément sous le travail. Pour Salviat, impossible de détourner seulement quelques instants pour rendre visite à l’échoppe. Dès qu’elle était hors de sa vue, Marguerite lui manquait terriblement, et quand ils étaient ensemble, ils étaient obligés de contrôler chacun de leurs gestes. Il soupira tout en faisant nerveusement claquer les caractères de plomb sur le composteur. Il sentait un peu trop sur lui le regard scrutateur de son patron. Suret le surveillait et l’évaluait sans cesse, pensait Salviat. Pourtant, il n’avait plus l’occasion de déserter, comme il l’avait fait toute l’année précédente, quand il y avait des sorcières à faire évader ou que les jumelles avaient besoin de lui.

Salviat ne pouvait se permettre de perdre son travail, aussi se révélait-il un employé modèle, par la force des choses. Il aurait aimé que ce soit autrement. Dans sa vie, il n’y avait pas assez de Marguerite et de plus en plus du reste, et ça ne faisait pas du tout son affaire.

Il comptait sur les bals de Samain pour rattraper le temps perdu. Hélas, ces bals étaient devenus bien incertains. La sarabande avait attisé l’intolérance des bigots montgréziens, et les musiciens, restés en ville, s’amusaient à souffler sur les braises des mésententes au point que Grandjean, non content de vouloir interdire la sarabande, en était à se dire qu’il allait carrément annuler toutes les manifestations et toutes les danses, et tant pis pour la tradition et pour tous ceux qui attendaient ce moment. Lui-même, Salviat Périgot, avait eu l’honneur d’être consulté sur ces épineuses questions par Grandjean en personne. Hélas, il n’avait pas su être très convaincant, puisque l’officier était reparti perplexe, laissant planer cette menace : si les Montgréziens ne se tenaient pas bien au plus vite, il n’y aurait pas de fête du tout.

Salviat, énervé par Suret qui lui tournait autour à mille occasions de la journée, n’avait eu qu’une satisfaction ce mois-ci : on lui avait confié la composition de la monographie sur le grimoire au rubis commandée par Gaspardus Hamelinus, comme le mage se plaisait à se nommer dans ses travaux érudits. Hamelin était passé à l’atelier la veille et Salviat avait commencé ce matin le travail, qu’il tenait à soigner particulièrement. La page de titre portait en dédicace le nom de Marguerite, et il l’avait composé avec fièvre. Mais il aurait préféré avoir la jeune fille entre les bras plutôt qu’en lettres de plomb dans la réglette.

Clients et visiteurs se succédaient à l’atelier, il ne levait même pas le nez.

— Avez-vous ici quelque ouvrage de démonologue ? demanda à Suret une voix claire, jeune et enjouée, qui ne correspondait guère à la teneur de la question.

La demande s’adressait à maître Suret, installé à sa grande table, mais Salviat, plus que surpris, leva le regard.

Un jeune homme d’un blond très clair, l’air assuré, en vêtements usés, mais la cape relevée par la ligne d’une épée, s’enquérait poliment auprès du maître.

— Je n’en ai plus, affirma sèchement Suret. Je n’en avais ici que cinq ou six et depuis cette histoire de sarabande, tout le monde vient m’en réclamer.

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